Le 29 novembre 2022, l’assemblée nationale togolaise a parachevé l’adoption du projet de loi portant sur la protection des apprenants contre toute violence à caractère sexuel au Togo[1].
Dans quel contexte cette adoption intervient-elle ?
Depuis quelques années maintenant, l’on constate de plus en plus d’irrégularités et de dérives dans les lieux d’apprentissage. Ces lieux faits pour être des cadres d’acquisition de connaissances, et de développement de compétences, en vue de l’épanouissement de la société deviennent malheureusement des scènes de crimes où se multiplient de actes de violences et de discriminations de tous genres, notamment à l’encontre des jeunes filles. A titre illustratif, l’on a recensé plus de 4841 grossesses indésirées en milieu scolaire rien que sur la période 2018-2021[2], et pis encore ce sont plus de 5000 cas de grossesses qui ont été enregistrés sur l’unique année 2021-2022, selon les données du ministère chargé de l’enseignement primaire et secondaire.[3] L’on pourrait également évoquer les nombreux scandales sexuels communément appelés « sextapes » qui ne cessent de se multiplier dans l’univers éducatif Togolais.
Il est évident que ces fléaux et scandales à répétition ne garantissent pas un environnement de travail serein aux apprenants, ni aux formateurs d’ailleurs. Or qu’il faut un environnement de travail sain et sécurisé pour que ces lieux d’apprentissage puissent remplir leurs objectifs qui sont entre autres, la formation, le développement et l’autonomisation des apprenants sans oublier la réduction du taux d’analphabétisme et des inégalités liées au genre.
C’est donc soucieux d’offrir et de garantir un meilleur environnement de travail à l’enseignant ainsi qu’un meilleur cadre d’apprentissage à l’apprenant que le gouvernement Togolais s’est doté de ce nouvel arsenal juridique. Cette loi intervient aussi dans le but d’actualiser, de renforcer et de compléter les législations déjà existantes notamment celles de la loi n°1984-14 du 16 mai 1984 relative à la protection des filles et garçons régulièrement inscrits dans un établissement d’enseignement ou dans un centre de formation professionnelle contre les violences sexuelles et celles du code pénal Togolais.
Quel est donc le champ d’application de la loi du 29 novembre 2022 ?
D’abord, il faut noter que le terme « apprenants » au sens de cette loi désigne toute personne de sexe féminin ou masculin inscrite dans des établissements d’enseignement primaire, secondaire, technique et universitaire, dans des ateliers, des centres d’apprentissage et de formation professionnelle, que ces établissements soient publics ou privés, laïcs ou confessionnels.[4]
Ensuite le terme de « violences à caractère sexuel » est défini par l’article 3 comme étant tout acte sexuel commis sur un apprenant par abus, par contrainte, par menace ou par surprise. Il faut noter que les atteintes à l’intimité, l’attouchement sexuel, la pédophilie, l’inceste, le viol et la séquestration avec l’intention d’obtenir de sa victime des faveurs sexuelles constituent des actes de violences à caractère sexuel que vise cette loi.
En ce qui concerne les mineurs de moins de 16 ans, âge de la maturité sexuelle au Togo, la violence à caractère sexuel consiste en tout acte sexuel commis sur leur personne, abstraction faite de leur consentement.
- L’objet de la loi
Ce qu’il faut savoir avant tout, c’est que cette loi vise à protéger tous les apprenants, que ceux-ci soient de sexe masculin ou féminin, contre toutes formes de violences à caractère sexuel au Togo.
La loi entend protéger les apprenants contre leurs enseignants, leurs formateurs, leurs instituteurs… et contre les apprenants eux-mêmes.
Qu’en est-il de la mise en œuvre de la loi alors ?
La loi du 29 novembre 2022 est censée être appliquée comme loi d’Etat. Il est prévu qu’elle sera mise en œuvre par voie réglementaire et qu’un observatoire national sera créé pour coordonner l’action, notamment en ce qui concerne les mesures d’accompagnement des apprenants victimes de violences à caractère sexuel.
Quelles sont les mesures édictées par la loi ?
A ce stade, on peut tout simplement dire qu’on a d’une part des mesures préventives et d’autre part, des mesures répressives. Avant d’aborder ces mesures, soulignons qu’il appartient à l’Etat Togolais de s’assurer de l’effectivité de ces mesures.
- Les mesures préventives
Dans son article 4, la loi recommande que l’Etat veille entre autres mesures, à :
- L’élaboration des programmes d’enseignement et de formation, relatifs à la lutte contre les violences à caractère sexuel ainsi qu’à une éducation sur la santé sexuelle,
- L’insertion des notions relatives à la protection des apprenants dans les règlements intérieurs des instituts et centres de formation, ainsi que la mise en place des codes éthiques,
- La mise à disposition des mécanismes de protection et de prise en charge ; ainsi que la sensibilisation du grand public.
- L’Etat doit veiller aussi à ce que des actions publiques soient intentées contre les contrevenants aux dispositions de cette loi…
Il convient quand même de rappeler que la prévention est avant tout l’apanage des établissements. Ceux-ci ont d’ailleurs l’obligation de se conformer aux normes et recommandations de ladite loi, notamment, en formant et en informant les enseignants, les apprenants, les comités de parents d’élèves et toute la communauté éducative quant aux enjeux que revêt la protection des apprenants contre ces violences à caractère sexuel au Togo.[5]
Pour renforcer l’efficacité de ces mesures et faciliter leur mise en œuvre, il est prévu des sanctions à l’encontre des personnes témoins de ces actes qui ne respecteront leur devoir qui est de dénoncer les auteurs. Aussi faut-il souligner que la loi en son article 7[6] met en garde contre toutes représailles ou tentatives de représailles contre toute personne qui rapporterait des faits avérés à l’autorité compétente.
- Quelle est l’autorité compétente pour connaître des violences à caractère sexuel ?
Les responsables d’établissements, les inspections d’enseignement et directions régionales de l’éducation, les centres d’écoute et conseils aux victimes de violences basées sur le genre, les forces de l’ordre et de sécurité, les autorités administratives et judiciaires, les parlementaires et élus locaux, les organisations à base communautaire ainsi que toute organisation de défense des droits humains, sont les autorités auprès desquelles, les personnes ayant commis ou tenté de commettre des actes de violence à caractère sexuel, peuvent être dénoncées.
Ainsi, toute personne qui serait témoin d’un acte de violence à caractère sexuel et se tait, se rend coupable de ce fait et peut pour cela, pourra échopper d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 3 ans ou encore d’une amende qui peut atteindre 5 millions de FCFA.[7]
- Les mesures répressives et dispositions pénales
Les actes réprimés par la loi vont des délits de harcèlement sexuel, d’atteinte à l’intimité, d’attouchement sexuel et de cyberharcèlement, aux crimes de viol, de pédophilie, d’inceste et de séquestration en vue de mariage non consenti entre autres. Ces différents termes ont été définis de façon très large par la loi afin d’inclure tous les actes susceptibles d’être constitutifs de violences à caractère sexuel.
Les peines encourues peuvent être soit des peines d’emprisonnement allant de 1 à 5 ans pour les délits à l’instar du harcèlement sexuel, de l’espionnage sexuel et du cyberharcèlement. Les amendes qui peuvent aller de 1 à 5 millions de FCFA sont soit une alternative à la peine d’emprisonnement ou soit elles sont des peines complémentaires à celle de l’emprisonnement.[8]
Aussi est-il intéressant de noter qu’en cas d’abus d’autorité ou d’acte commis sur un mineur de moins de 16 ans, les peines sont revues au double de la peine initiale et l’amende dans ce cas n’est plus une peine alternative à l’emprisonnement mais une peine complémentaire.[9]
Quant aux actes particulièrement graves de par leur essence même, les peines initiales vont de 5 ans d’emprisonnement à 30 ans de réclusion criminelle en présence de circonstances aggravantes. Il en sera ainsi lorsqu’il sera question de viol, de pédophilie ou encore de séquestration d’un apprenant en vue d’un mariage non consenti. Dans ces cas aussi, les amendes qui peuvent aller de 5 à 25 millions de FCFA sont complémentaires à l’emprisonnement ou à la réclusion criminelle.[10]
En outre, il faut noter que des mesures disciplinaires ne sont pas à écarter. En effet, ces actes de violence constituent des fautes graves, donc la loi n’écarte pas les sanctions disciplinaires qui peuvent facilement s’ajouter à la peine encourue. D’ailleurs, une autorité administrative devrait s’en charger, si on se rapporte aux termes de l’article 33.
A noter également que les coauteurs et complices sont punis au même titre que les véritables auteurs des actes de violences réprimés. Il en sera de même pour toute tentative marquée par un début d’action.
Cas des grossesses résultant de violences à caractère sexuel
Le législateur a accordé une attention particulière aux cas de grossesses découlant d’actes de violences à caractère sexuel.
D’entrée de jeu, il faut retenir que toute personne qui enceinte une apprenante régulièrement inscrite, encourt une peine de 1 à 5 ans d’emprisonnement et une amende de 1 à 5 millions de FCFA ; exceptions faites des cas où l’apprenante se trouve dans un lien de mariage avec l’auteur de la grossesse ou qu’elle a atteint l’âge de la majorité légale au moment de la survenance de la grossesse.[11] Cette peine est portée au double si l’auteur a abusé de son autorité ou si la victime est une mineure de moins de 16 ans.
Quant à l’interruption volontaire de grossesse qui est la conséquence d’une violence à caractère sexuel, il est licite.[12] Mais la loi écarte toute interruption volontaire de grossesse résultant d’une violence à caractère sexuelle, sans le consentement de l’apprenante enceinte. D’ailleurs, la loi met en garde contre les solutions et pratiques clandestines en la matière.[13]
La loi est désormais là et il appartient à l’exécutif togolais de prendre les dispositions nécessaires pour la mettre en œuvre. En guise de rappel, il est prévu qu’elle sera mise en œuvre par voie réglementaire.
Auteur : Abel Kabité ALOUA, étudiant en Master 1 droit international des affaires à la FSJES de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdallah de Fès.
[1] https://assemblee-nationale.tg/lois_adoptees/loi-relative-a-la-protection-des-apprenants-contre-les-violences-a-caractere-sexuel-au-togo/
[2] Rapport de l’étude au fond du projet de loi portant protection des apprenants contre les violences à caractère sexuel au Togo.
[3] https://www.ouestaf.com/togo-la-loi-sauvera-t-elle-les-filles-des-violences-a-caractère-sexuel/?amp
[4] Art. 2
[5] Art. 5.
[6] Article 7 : Nul ne peut être sanctionné et ou faire l’objet de quelques représailles que ce soit pour avoir dénoncé ou témoigné de faits avérés de violence à caractère sexuel sur un apprenant.
[7] Art. 27, al. 1.
[8] Articles 14, 17 et 18.
[9] Art. 17 al. 2 et Art 18 al. 3
[10] Articles 24, 25 et 26.
[11] Art. 19.
[12] Art. 20.
[13] Art. 21 ; 22 et 23.