Commerce et le droit au développement. Quelles opportunités pour les pays ouest-africains à travers les mécanismes du Traitement Spécial et Différencié de l’OMC ? (deuxième partie)
Par Jean Paul ADJAKON, doctorant en droit international à l’Université paris cité.
II- Décisions pertinentes de l’OMC accordant un traitement spécial et différencié aux pays en développement et aux pays les moins avances
Outre les dispositions des différents accords qui forment le corpus juridique de l’OMC, certaines décisions, prises dans le cadre du fonctionnement quotidien de l’organisation mondiale du commerce, accordent, également, des traitements différenciés et plus favorables aux PED et PMA. Il s’agit, entre autres, des décisions ministérielles, des décisions du conseil général de l’OMC…
A- Décision du 28 novembre 1979 ou clause d’habilitation
Cette décision intitulée traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus complète des pays en voie de développement, permet de déroger au paragraphe 2c de la clause de la nation la plus favorisé et autorise les arrangements régionaux (accords commerciaux régionaux) ou mondiaux entre pays PED s’agissant du commerce des marchandises. Elle dispose à cet effet que, nonobstant les dispositions de l’article premier de l’Accord général, les parties contractantes peuvent accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en voie de développement, sans l’accorder à d’autres parties contractantes. Il s’agit ici, du premier type de traitement différencié accordé aux PED à savoir le système généralisé de préférence (SGP) [1] qui est, par la suite, resté applicable à l’OMC dans le cadre du GATT de 1994[2] et des arrangements régionaux (APE UE Afrique de l’ouest) ou mondiaux conclus entre parties contractantes peu développés en vue de de la réduction ou de l’élimination de droits de douane sur une base mutuelle et enfin du traitement spécial accordé aux PMA[3].
L’idée d’appliquer aux PED des tarifs douaniers préférentiel sur le marché des pays développés, sous forme de réduction ou de suppression des droits de douane, a initialement été lancé en 1964, à la première session de la conférence des nations unis sur le commerce et le développement. En pratique chaque pays donneur de préférence, détermine seul les bénéficiaires de ces préférences. Ces derniers ne prenant pas part à cette opération de détermination des bénéficiaires sauf s’il s’agit de préférences conventionnelles comme cela a été le cas dans les accords de Lomé et, maintenant, dans les accords de Cotonou. Le pays donneur en fait de même pour la teneur, les conditions et limites des préférences en vertu desquelles certains produits originaires des PED vont, sans réciprocité, bénéficier de taux de droit réduits ou nul par rapport aux taux de la clause de la nation la plus favorisée (NPF)[4].
Dans ce système, les pays moins avancés bénéficient, quant à eux, d’un traitement spécial et préférentiel avec une large gamme de produits, et des réductions tarifaires plus substantielles. On parle souvent de franchise douanière comme, on l’a si bien entendu à l’occasion des accords de Lomé.
A toute fins utiles, il est important de faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’une obligation mais d’une autorisation de déroger à l’article I du GATT (NPF) en faveur des PED que les pays développés demeurent libres d’utiliser ou non. Il reste, de ce fait, volontaire, le plus souvent unilatéral et possiblement multilatéral (Accord de Lomé, Accord de Cotonou UE-ACP) et cela, même s’il est encadré par les règles de l’OMC[5].
A titre d’exemple, nous faisons référence aux grandes lignes du système généralisé de préférence (SGP) du premier partenaire commercial de l’Afrique de l’ouest, en l’occurrence, l’Union Européenne. Le système de préférence de l’UE, actuellement, en vigueur a été reformé par le règlement UE 978/2012[6] et est appliqué depuis janvier 2014.[7]Il est, actuellement, composé de trois régimes et bénéficies à 92 pays parmi lesquels sont cités tous les pays d’Afrique de l’ouest.
L’article 1 de ce règlement[8] prévoit en faveur des PED, les régimes suivants : un régime général[9], un régime général d’encouragement en faveur du développement durable et de la bonne gouvernance (SGP+)[10] et enfin, un régime spécial en faveur des pays les moins avancés (tout sauf les armes- (TSA)-). Tous les pays d’Afrique de l’ouest, peuvent, de droit, et en fonction de leur niveau de développement, se prévaloir de l’un de ces régimes étant donné qu’ils sont tous des PED et largement des PMA[11].
Cependant, Cette initiative, bien que relevant de la volonté discrétionnaire de l’UE, devient obligatoire pour cette dernière, chaque fois qu’un pays est désigné par la conférence des nations unies comme PMA. Cela, parce qu’elle repose sur un principe de non-discrimination. En effet, le système généralisé de préférence ne doit pas opérer de discrimination entre les Etats les moins avancés. Il doit avoir pour effet de faciliter le commerce en provenance des pays les moins avancés et non de dresser des obstacles contre d’autres parties contractantes désignés comme PMA pas la conférence des nations unies pour le commerce le développement (CNUCED). De fait, et selon un article publié le 30 juillet 2019 sur le site de la direction générale du trésor Français[12], Le terme SGP décrit l’ensemble des droits et obligations plus favorables accordés au pays en développement via les accords de l’OMC. Nous sommes alors, dans ces conditions, amener à nous interroger sur la validité de la réciprocité introduite dans les APE UE-Afrique de l’ouest.
Entre outre, cette décision proscrit la réciprocité d’engagement, au cours de négociations commerciale, entre pays développés et pays en voie développement dans la réduction ou l’élimination des droits de douane et autres obstacles au commerce. Dans ce sens, il ne peut être exigé aux pays d’Afrique de l’ouest, des contributions incompatibles avec leurs besoins du développement, de finances et de commerce. Les pays développés ne doivent pas chercher à obtenir une réciprocité et les pays d’Afrique de l’ouest ne doivent pas être contraint d’accorder des concessions qui soit incompatible avec leurs besoins susmentionnés.
Le point 8 de cette décision est très ponctuant quand il impose qu’il soit tenu particulièrement compte de la sérieuse difficulté que les 13 PMA de la région éprouvent à accorder des concessions et à apporter des contributions étant donné leur situation économique spéciale et les besoins de leur développement, de leurs finances et de leur commerce.
Au regard de ce qui précède, il importe de mener des réflexions sur les concessions exigées par l’Union Européenne aux pays d’Afrique de l’ouest dans le cadre de l’accord de partenariat économique signé récemment entre les deux régions.
B- Décision du 15 décembre 1993 portant décision en faveur des pays les moins avancés[13]
Cette décision a été déterminante pour aider les PMA à intégrer le système commercial en améliorant leurs possibilités commerciales et en leurs ménageant une plus grande flexibilité des règles de l’OMC[14]. Elle encourage les membres de l’OMC à continuer à adopter des mesures qui facilitent l’expansion des politiques commerciales des PMA. Dans cette logique, elle impose que, les pays les moins avancés, et tant qu’ils demeureront dans cette catégorie, ne soient pas tenus de contracter des engagements incompatibles avec leur situation en matière de développement, de commerce et de finance. Elle leurs demande aussi de ne faire des concessions que dans la mesure compatible avec les besoins du développement, de finances et du commerce de chacun d’entre eux, ou avec leurs capacités administratives et institutionnelle. Elle impose, de même, que soit accordé une attention bienveillante aux préoccupations spécifiques et motivées exprimées par les pays les moins avancés dans les négociations et que soit, aussi, accordé une attention particulière aux intérêts à l’exportation de ceux-ci.
A ce titre, suivant la lettre et l’esprit de cette décision, plusieurs mesures et instruments ont été adoptés en faveurs des PMA en l’occurrence, la déclaration ministérielle de Hong Kong adoptée le 18 décembre 2005[15], dans laquelle les membres de l’OMC ont convenu que les pays développés membres devraient offrir un accès en franchise de droit de douane et sans contingents sur une base durable pour tous les produits originaires des PMA, d’une manière qui assure la stabilité, la sécurité et la prévisibilité.
Outre cette déclaration ministérielle de Hong Kong, la décision du décembre 1993, a permis d’obtenir plusieurs dérogations importantes en faveur PMA dont peuvent bénéficier les 13 d’Afrique de l’ouest.
Il s’agit : de la dérogation permettant aux pays en développement membres de l’OMC d’accorder un traitement tarifaire préférentiel aux produits en provenance des PMA. En vertu de cette dérogation, les PED d’Afrique de l’ouest (Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana) peuvent accorder un traitement tarifaires préférence aux produits en provenance des PMA sans être tenus d’appliquer les mêmes taux aux produits similaires importés des pays développés.
Quid alors de la clause de la nation la plus favorisé (NPF) introduite par l’UE dans les accords de partenariat économique intérimaire signé avec la Cote d’ivoire et le Ghana, qui impose que les avantages commerciaux accordés par ces pays soient étendus à l’UE. D’ailleurs, selon Dr El Hadji Abdourahmane DIOUF, l’introduction de cette clause dans ces accords intérimaires est une stratégie Européenne visant à créer une brèche dans le fonctionnement de la zone de libre chance continentale Africaine (ZLECA) entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Ce qui remet, alors, en cause la lettre et l’esprit de la décision du 15 décembre 1993. En effet, cette clause offre un accès détourné à l’UE aux marchés régionaux Africains dans le cadre de l’UEMOA, de la CEDEAO… et pourrait créer, toujours selon DIOUF, des conséquences fâcheuses dans la mise en œuvre du ZLECA. Les avantages commerciaux préférentiels entre PED et PMA de l’Afrique qui sont censés les aider à gagner en compétitivité et à améliorer leurs capabilités commerciales sont partagés avec les pays de l’Union Européenne qui sont tous des pays développés.
C- Décision ministérielle du 7 décembre 2013 : détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire
Cette décision protège les PED et PMA d’Afrique de l’ouest contre les contestations juridiques qui pourraient subvenir dans la mise en œuvre de leurs programmes de détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire au titre de l’accord sur l’Agriculture pour autant que les dispositions en matière de sauvegarde, de transparences et d’anti contournement soient respectées. Elle a, d’ailleurs, été réaffirmée en 2015 lors de la conférence ministérielle à Bali.[16]
Elle invite, à cet effet, les membres de l’OMC à s’abstenir de contester, dans le cadre du Mécanisme de règlement des différends de l’OMC, tout soutien accordé par le gouvernement d’un PMA pour les cultures vivrières essentielles traditionnelles conformément à son programme de détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire[17]. Implicitement, cette décision autorise les pouvoirs publics des PMA d’Afrique de l’ouest à accorder un soutien interne conséquent aux secteurs vivriers qui, en Afrique de l’ouest, sont, essentiellement, traditionnelles et incontournable pour une sécurité alimentaire.
D- Décision ministérielle du 7 décembre 2013 : règles d’origine préférentielles pour les pays les moins avances
En adoptant cette décision, qui contient en effet plusieurs recommandations relatives à la conception et à l’utilisation des règles d’origine, les membres de l’OMC ont ainsi établi une ligne directrice multilatérale concernant ces règles d’origines préférentielle. Rappelons-le, l’établissement des règles d’origines préférentielles est laissé à la volonté discrétionnaire des pays développés. Selon le comité du commerce et du développement de l’OMC, l’objectif de cette Décision est de proposer plus d’éléments spécifiques visant à rendre les règles d’origine préférentielles pour les PMA transparentes et simples[18].
Partant, s’il est laissé aux pays développés la liberté de choisir la méthode d’octroie des règles d’origine préférentielles, il leur est demandé, cependant, à travers cette décision, d’évaluer la capacité de production des PMA et d’en tenir compte pour éviter d’imposer des prescriptions trop lourdes.
Dans ce sens, pour chaque type de méthode de détermination de l’origine, pour le cumul et pour les procédures documentaires, la Décision donne des illustrations ou des éléments indiquant comment les règles peuvent être conçues pour répondre aux objectifs évoqués ci-dessus.
C’est ainsi qu’elle stipule que les règles d’origine préférentielles doivent être aussi transparentes, simples et objectives que possible. Dans cette trame, elle rappelle que, mis à part les produits entièrement obtenus dans un pays, l’origine peut être conférée par une transformation substantielle ou suffisante, qui peut être définie de plusieurs manières : elle peut être donnée soit par le critère du pourcentage ad valorem ; soit le changement de classification tarifaire ou soit par une opération de fabrication ou d’ouvraison spécifique.
En conséquence, elle charge les pays développés et donneurs de préférence, dans le cas des règles fondées sur le critère du pourcentage ad valorem, de maintenir le seuil de valeur ajoutée au niveau le plus bas possible[19], tout en faisant en sorte les PMA d’Afrique de l’ouest bénéficient des arrangements commerciaux préférentiels étant donné leurs capacités de productions limitées. Elle dispose, également, que dans le cas des règles fondées sur le critère du changement de classification tarifaire, qu’il soit reconnu au PMA d’Afrique de l’ouest, l’origine d’un produit dès l’instant où un article relavant d’une portion ou d’une sous- portion de ce produit a été créer dans un pays moins avancé d’Afrique de l’ouest même si ce dernier a fait, largement, usage d’intrants étrangers. Et enfin, dans le cas des règles qui autorisent une opération spécifique de fabrication ou d’ouvraison afin de conférer l’origine, elle impose que ces règles tiennent compte, autant que possible, de la capacité de production des PMA. Aussi, rappelle-t-elle que, dans certains cas, les pays moins avancés d’Afrique de l’ouest, peuvent combinées ces méthodes[20].
Aussi, exige-t-elle que les prescriptions en matière de documents requis concernant le respect des règles d’origine soient simples et transparentes pour les pays moins avancés.
En épilogue, nous retenons que les pays d’Afrique de l’ouest, en fonction de leurs situations, disposent de nombreux avantages dans les accords et décisions de l’OMC dont ils peuvent tirer profit et dans certains cas, imposer aux pays développés afin d’éviter d’accorder des concessions qui soient incompatibles avec leurs besoins en termes de développement, de commerces et de finances.
[1] Le SPG a pour objectif d’aider les pays en développement dans leur lutte contre la pauvreté en générant des revenus par le biais du commerce international.
[2] « Enabling_f.pdf », consulté le 4 janvier 2021, https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/enabling_f.pdf.
[3] Article 2 a, b, c et d de la décision portant sur le traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus complète des pays en voie de développement : https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/enabling_f.pdf
[4] Habib juriste) Ghérari, Droit international des échanges, Droit international économique (Bruxelles : Bruylant, 2017).
[5] Ghérari.
[6] https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/7cda03eb-5ffb-4ea1-89d4-7d7877ebd480/language-fr
[7]Paragraphe 4 du préambule du règlement UE 978/2012 : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/7cda03eb-5ffb-4ea1-89d4-7d7877ebd480/language-fr
[8] Article 1 règlement UE 978/2012.
[9] Le SPG général, s’applique à tous les pays qui ne sont pas classés par la Banque mondiale comme pays à revenus élevés et dont les exportations ne sont pas suffisamment diversifiées. Il assure les réductions sur les produits sensibles et non sensible. A ce titre, la Côte d’Ivoire et le Ghana bénéficiaient de ce régime. Cependant, depuis le 3 septembre 2016 et le 15 décembre 2016, ils ont cessé d’être respectivement bénéficiaires. En effet, depuis cette date, ils ont commencé à appliquer l’accord de partenariat économique d’étape signé individuellement avec l’Union Européenne. Ces accords d’étape ont, alors, défini un nouveau régime préférentiel pour les exportations de ces deux pays vers le marché de l’UE.
L’accord de partenariat économique d’étape entre la Côte d’Ivoire, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part (ci-après dénommé « l’accord »), a été signé à Abidjan le 26 novembre 2008 et est appliqué à titre provisoire depuis le 3 septembre 2016.
[10] L’initiative tous sauf les armes est né en 2001. Il donne à l’ensemble des produits en provenance des pays les moins avancés un accès en franchise de droit douane au marché de l’UE à l’exception des armes et munitions. L’octroi de ces préférences est autorisé pour autant qu’elles répondent de manière positive à un besoin de développement, des finances ou du commerce.
[11] Les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) | Fiscalité et Union douanière (europa.eu)
[12] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/07/30/statut-de-pays-en-developpement-et-traitement-special-et-differencie-a-l-omc-de-quoi-parle-t-on
[13] « 31-dlldc.pdf », consulté le 5 janvier 2021, https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/31-dlldc.pdf.
[14] « directdoc.pdf », consulté le 8 décembre 2020, https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/WT/COMTD/W239.pdf&Open=True.
[15] https://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min05_f/final_annex_f.htm
[16] Décision ministérielle du 19 décembre 2015 WT/MIN(15)/44-WT/L/979
[17] « OMC | Conférences ministérielles – Neuvième Conférence Ministérielle de l’OMC », consulté le 7 janvier 2021, https://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/mc9_f/desci38_f.htm.
[18] « Directdoc.pdf », consulté le 7 janvier 2021, https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=r:/WT/MIN13/42.pdf&Open=True.
[19] Il est noté, dans la suite du point 1.3 de ladite décision que les PMA demandent qu’il soit envisagé d’admettre des intrants étrangers à concurrence de 75% de la valeur pour que la marchandise soit admise à bénéficier des avantages prévus dans les arrangements commerciaux préférentiels en faveur des PMA.
[20] Article 1.2,3,5,6,7 de la decision ministérielle du 7 decembre 2013 :« OMC | Conférences ministérielles – Neuvième Conférence Ministérielle de l’OMC ».