De Victimes à Leaders : L’Émergence des Femmes Africaines dans la Diplomatie et la Sécurité

Par Mme COULIBALY Fatoumata, Juriste en contentieux des affaires

 

Les femmes en Afrique représentent le maillon fort dans la prévention ainsi que la négociation pour la recherche, l’instauration et la consolidation de la paix. Sur un continent en proie à des menaces de tout genre, les femmes ont appris à jouer un rôle positif dans les processus qui s’y rattachent. Souvent premières victimes de l’insécurité sur le continent, elles ont appris à ne pas rester simples victimes ou spectatrices de leur destin. À ce jour, les femmes, à travers leur rôle d´assistantes et de conseillères ne cessent de prouver leur impact dans les négociations et la recherche de la paix en Afrique. Elles sont ainsi les principales figures de la résistance et de l´apaisement des tensions.

Potentielles actrices de prévention et de résolution des conflits en Afrique, elles arrivent difficilement à se réclamer de ce rôle (I). Cette situation nécessite de la part des organismes compétents, la mise en place d’outils et de mécanismes pour exploiter ce fort potentiel dans la pacification du continent en accord avec l’Agenda 2063. (II).

I/ Les femmes, actrices principales de prévention et de résolution des conflits en Afrique

Parmi les figures féminines africaines de la résistance et de la promotion de la paix, la libérienne Leymah Gbowee. Prix Nobel de la paix en 2011[1], elle a réussi à jouer un rôle important pour mettre un terme à 14 ans de guerre civile au Liberia en 2003. Dans un autre cas de figure similaire, en 2004, c´est Asha Haji Elmi[2] qui devient la première Somalienne à signer un accord de paix entre les clans en conflit dans son pays. Dans cette dynamique, en 2002 on assiste à une forte présence des femmes occupant des hauts postes dans les tribunaux en Sierra Leone. Quelques années plus tard, en 2011, la gambienne Fatou Bensouda est nommée première femme procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI).

Ces figures, considérées comme des role models  ont incarné la femme actrice du changement dans les processus de conflictualité sur le continent. En effet, la femme africaine est depuis devenue une partie prenante indispensable autour des tables de négociation afin que ses opinions puissent être prises en compte dans le processus de paix et de sécurité. En effet, une analyse[3] a prouvé que les droits des femmes doivent être de plus en plus renforcés afin d’encourager leur implication accrue dans la gouvernance de la sécurité et de la paix. Cela passe également par la formation de femmes arbitres et des médiatrices. La mobilisation des ressources en appui des initiatives féminines pour la consolidation de la paix en Afrique y jouerait aussi un rôle crucial.

Sur le plan pratique, le taux d´implication des femmes africaines dans les opportunités de formation reste très faible nonobstant les diverses initiatives de l´ONU et de l´UA. Une approche plus adaptée favoriserait sans doute l´application effective en Afrique de la résolution 1325. En effet, cette résolution s´inscrit dans le cadre de la protection des femmes avant, pendant et après les conflits. Elle reconnait l´impact des conflits sur les femmes et légitime politiquement leur rôle dans la recherche de la paix et de la sécurité. Ainsi, la résolution 1325 doit s´appliquer en tenant compte principalement des mesures de renforcement et de promotion des femmes en générale et des africaines en particulier.[4]

En Afrique, une bonne politique d´inclusion effective des femmes dans le processus de paix et sécurité nécessite des discussions et des consultations directes avec elles[5]. Cette politique nécessite également le renforcement de leur inclusion dans la sphère politique, les plaçant ainsi comme de véritables détentrices de pouvoir de décisions[6].

II/ Les efforts dans le processus d´inclusion des femmes dans la quête et le maintien de la sécurité et de la paix en Afrique

C´est en 2007 pour la prière fois, que l´ONU a déployé toute une unité féminine pour une mission de maintien de la paix au Liberia. C´est grâce à la première conférence de Mexico en 1975 suivie de celle de Pékin en 1995 que l´implication des femmes dans la sécurité et la recherche de la paix a connu son essor. L´on a assisté à un fort taux de contribution des pays africains dans la mobilisation des femmes dans ce processus. Même si le taux global reste faible, les pays d´Afrique avec le plus de participation féminine ont été l´Afrique du Sud, le Burundi, le Cameroun, l´Éthiopie, le Ghana, la Tanzanie et le Rwanda[7].

Plusieurs défis subsistent malgré les progrès réalisés. Selon les Nations Unies, entre 1992 et 2019, la participation des femmes dans les processus de paix a été très faible. En effet, les femmes constituaient 13% de négociateurs, 6% des médiateurs et 6% des principaux signataires de paix[8]. Très peu de femmes participent aux processus formels de rétablissement de la paix. Jusque-là, de nombreux accords de paix ne prévoient pas de dispositions consacrées aux besoins des femmes en matière de sécurité et de consolidation de la paix.[9] Ces maigres chiffres démontrant le taux de participation des femmes dans le processus de prévention et de règlement des conflits ne sont pas sans conséquence. Par ailleurs, lors du cinquième débat sur le Conseil de Sécurité en octobre 2022, il a été relevé que la résilience et le leadership féminins sont primordiaux pour une société prospère et paisible[10].

À cet égard, des initiatives ont été lancées par l’ONU relatives à la protection des femmes et des filles. L’Union Africaine (UA) s’est engagée de son côté dans ce processus, reconnaissant le principe de l’égalité entre les sexes. L’engagement de l’UA se manifeste principalement par sa volonté de relever le défi d’intégration des femmes au sein de son conseil de paix et de sécurité.[11]

L´effort des institutions dans le processus d´inclusion de la femme africaine dans la recherche de paix reste tout de même considérable. En effet, l´UA, l´ONU et la Communauté Économique Des États de l´Afrique de l´Ouest (CEDEAO) se sont inscrites dans le cadre de l´implication des femmes dans le processus de prévention et de résolution des conflits en Afrique. Les Nations Unies prônent la participation des femmes à tous les niveaux des processus de paix. La résolution 1325 de 2000 du Conseil de sécurité sur la dynamique d´implication des femmes dans la paix et la sécurité a été bien accueillie par de nombreux Etats et de nombreuses organisations. En effet, pour la première fois dans une résolution du Conseil, un rapprochement est fait entre la question de la paix et de la sécurité et la femme. Cette résolution tient compte aussi des conséquences désastreuses des guerres sur les femmes et s´attèle à ce que ces dernières contribuent efficacement et en masse aux programmes de prévention, de règlement des conflits et de pérennisation de la paix.

En soutien à cette résolution, l’UA a créé le réseau des femmes médiatrices « FemWise », en vue de renforcer le rôle des femmes dans les processus de diplomatie préventive, de médiation et de paix en Afrique. Ce réseau vise à renforcer le rôle des femmes dans les efforts de prévention des conflits et de médiation dans le cadre de l’Architecture de Paix et de Sécurité Africaine (APSA). Ce réseau offre une plateforme pour un plaidoyer stratégique, le renforcement des capacités et le réseautage afin d’améliorer la mise en œuvre des engagements en faveur de l’inclusion des femmes dans les processus de paix en Afrique.[12]

Vingt-quatre ans après l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, les femmes et les filles continuent de subir en Afrique les conséquences des conflits. Ces dernières restent surtout sous-représentées dans les décisions qui concernent leurs besoins et leurs droits. Et pourtant, les femmes demeurent l´un des meilleurs catalyseurs pour la paix en Afrique. Les femmes en Afrique possèdent encore des potentialités inexplorées comme leur capacité réconciliatrice[13]. Ainsi, il serait important d’investir dans leur éducation, car éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation.

[1] NobelPrize.org

[2] https://rightlivelihood.org/the-change-makers/find-a-laureate/asha-hagi-elmi/

[3] https://www.onufemmes.fr/nos-actualites/2020/9/28/pourquoi-est-il-crucial-dinclure-les-femmes-dans-les-processus-de-paix https://www.onufemmes.fr/nos-actualites/2020/9/28/pourquoi-est-il-crucial-dinclure-les-femmes-dans-les-processus-de-paix?format=amp

[4] Les quatre piliers de la résolution 1325, UN, Department of political and peacebuilding affairs

[5] Madjissembaye Nako, politologue,

 https://www.centrerecherche.com/Le-role-de-la-femme-dans-la-prevention-des-conflits_a728.html

[6] Les mandats femmes, paix et sécurité des opérations de maintien de la paix des Nations Unies : Évaluation de leurs effets et de leur influence Lisa Sharland JANVIER 2021

[7] https://information.tv5monde.com/afrique/video/femmes-2739898

[8] LES FEMMES ET LA PAIX ET LA SÉCURITÉ (S/2022/740)

[9] Bell, Christine: Les femmes et les processus, négociations et accords de paix : opportunités et défis opérationnels. Note de politique générale du NORF Norwegian Peacebuilding Resource Center. Mars 2013.

http://www.peacewomen.org/assets/file/Resources/Government/christine_bell.pdf

[10] Femmes, paix et sécurité: le cinquième débat de l’année remet le Conseil de sécurité face aux appels à l’action pour renforcer le leadership des femmes

https://press.un.org/fr/2022/cs15071.doc.htm

[11] Par exemple, dans le cadre de la Southern African Development Community

SADC, plus de 21 pays bénéficient du programme de formation au maintien de paix de l’ACCORD (African Centre for the Constructive Resolution of disputes), dont seulement la participation de 15% des femmes.

[13] Rokhaya Aw-Ndiaye, E. (2001). Rapports hommes-femmes : les crises en Afrique sont-elles des ferments du changement ?. In F. Reysoo (éd.), Hommes armés, femmes aguerries (1‑). Graduate Institute Publications. https://doi.org/10.4000/books.iheid.6132

Commentaires