Migration, travail informel et développement : Enjeux de l’intégration des migrants sur le marché du travail marocain
Par COULIBALY Sanata, Juriste
Mesurer l’efficacité de la protection et de l’accompagnement des travailleurs migrants au Maroc est une question importante qui mérite un diagnostic approfondi d’autant plus que le royaume affiche un afflux de migration. Cependant, bien que ce taux de migration soit faible avec environ 102 400 migrants réguliers et 30 à 50.000 en situation irrégulière ces chiffres tendent à s’accroître[1]. Il incombe de ce fait à l’Etat marocain de s’inscrire dans une dynamique de suivi et d’encadrement de ces migrants tout en leur reconnaissant les droits humains les plus fondamentaux[2]. Au vu de tout ceci, une telle problématique juridique mérite d’être traitée avec tact par le pays. Dans le souci donc de satisfaire ces standards, le Maroc tente d’instaurer plusieurs politiques publiques. Néanmoins, ces actions gouvernementales sont-elles réellement en faveur des migrants ? Ou encore sont-elles assez efficaces pour un épanouissement professionnel des migrants travailleurs ?
Notre étude fera une analyse qualitative du sujet en l’abordant sous ses différentes dimensions.
I- Les actions publiques du Maroc pour une insertion des travailleurs migrants
L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) définit le migrant comme une personne qui se déplace de son lieu de résidence habituelle, pour diverses raisons vers une autre région ou un autre pays et ce de façon temporaire ou permanente[3]. C’est ainsi que sont considérés les travailleurs migrants à l’instar des étudiants internationaux, les travailleurs saisonniers, les refugiés.
Le Maroc qui autrefois était considéré comme un pays de transit accueille de nos jours de plus en plus de migrants en provenance de toutes les régions de l’Afrique et principalement les pays de l’Afrique subsaharienne et quelques pays de la ligue arabe. La forte migration des ouest-africains s’explique par les tensions politiques dont plusieurs renversements de pouvoir, les pouvoirs politiques répressifs, le changement climatique entrainant des difficultés alimentaires[4]. Cette masse est à la recherche de sécurité financière, sociale et politique[5].
En effet, pendant la période coloniale le Maroc était une passerelle pour l’Europe vers l’Afrique de l’Ouest. Que ce soit pour les transferts de denrées, d’esclaves ou d’autres besoins de déplacement, l’accès était accordé à tous, européens comme africains. Par la suite, le royaume Chérifien dans le souci de se réaffirmer et de s’imposer face aux autres pays magrébins va mettre en place une stratégie géostratégique. C’est ainsi qu’il va procéder à la signature de plusieurs accords bilatéraux avec les Etats de l’Afrique de l’Ouest pour faciliter une mobilité de leurs ressortissants. Présentant plusieurs similarités avec le paysage géographique français, le Maroc est donc devenu plus qu’un pays de passage, il est devenu un pays d’accueil. Ce grand intérêt pour le relief marocain s’illustre également par une situation politico-économique stable et une relation religieuse particulièrement ancienne avec ses voisins de l’ouest, signe d’une meilleure condition de vie. Sans toutefois omettre de mentionner les opportunités professionnelles qu’offre le Maroc dans différents secteurs tels que l’industrie et la banque, ce pays demeure attractif pour les chercheurs d’emplois[6]. Ce qui en fait la destination la plus prisée par les ouest-africains contrairement aux autres pays magrébins. Un tel afflux nécessite des prises de mesures adéquates pour une meilleure intégration.
Pour sa part, le Maroc acte dans plusieurs programmes internes et internationaux dont son adhésion au Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et la Stratégie Nationale pour l’Immigration et l’Asile (SNIA). Parallèlement, durant une rencontre réunissant les Etats partie à la Convention sur la Protection des droits de tous Travailleurs Migrants et des membres de leurs familles, le Maroc a été élu membre du Comité de Protection des droits de tous les Travailleurs Migrants pour la période 2024-2027[7]. Toutes ces politiques convergent pour garantir une gouvernance performante et un contrôle de qualité de la migration.
Plus précisément, le Maroc à travers le Ministère du Travail et de l’Insertion Professionnelle et l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences, a mis en place plusieurs politiques de régularisation de la situation des migrants afin d’effectuer un accompagnement professionnel de cette catégorie de personnes. Toujours est-il que le besoin reste assez pesant chez ceux dont la situation est déjà régulière. En moyenne, les migrants (Africains, Européens et autres étrangers) ont un niveau d’étude nettement plus élevée que les nationaux marocains avec un taux de 13 % de personnes non diplômées contre 55% selon les bases de données en ligne sur RGPH 2014[8]. Cependant leur intégration professionnelle dans le secteur formel reste un challenge quoique la législation marocaine en vigueur encadre cette insertion sous certaines conditions administratives énumérées à l’article 516 de la loi 65.99 relative au Code du Travail[9].
Il incombe donc à tout employeur voulant embaucher un étranger de disposer d’une autorisation de l’autorité gouvernementale chargée du travail. Par conséquent, l’étranger qui exerce en tant que salarié sans avoir obtenu de visa est considéré comme étant en situation irrégulière dont le contrat de travail est nul et non avenu[10].
Aussi, la jurisprudence s’accorde pour reconnaitre la non application de l’article 17 du Code de Travail qui dispose : « le contrat conclu pour une durée maximum d’une année devient un contrat à durée indéterminée lorsqu’il est maintenu au-delà de sa durée ». Il est également primordial de relever que le seul document qui a une valeur incontestable dans une relation de travail entre un employeur et un travailleur migrant est le contrat de travail étranger.
II- Le milieu informel : Le secteur privilégié des Travailleurs migrants
La complexité et l’exigence des procédures d’insertion professionnelle des migrants au Maroc entraine une ruée vers le secteur des services (53%) et de commerce (22%)[11].
Ainsi, comme le révèle une étude de la Banque Mondiale sur le secteur professionnel réalisée en 2021, les pays ayant un secteur informel important présentent des difficultés de développement[12]. Le Maroc ayant un taux de 77% lié à l’activité informelle court le risque de voir son économie chuter[13] dû principalement au grand nombre de travailleurs nationaux mais aussi aux migrants excellant dans ce secteur. Ce qui serait peu bénéfique pour le développement du pays.
La mise en place des procédés efficaces d’accompagnement et de protection des travailleurs migrants est plus ou moins illusoire partant d’une vue d’ensemble des résultats qu’ont donné les politiques d’insertion disponibles depuis 2014[14]. Pour pallier ce problème il serait judicieux d’encadrer efficacement les nouvelles vagues de migrants, faciliter l’intégration professionnelles des nouveaux diplômés. Il est également important d’investir dans l’éducation et la formation de toute cette population car cette migration n’est pas sans conséquence sur le taux de chômage. Dans le même ordre d’idée, il faut que le Maroc opère une reconversion de cette migration opportuniste en migration d’opportunité.
Tout travailleur migrant jouissant d’un travail digne et d’un environnement de travail sain joue un rôle crucial dans le développement de son pays d’origine. Cela dit, il participe à la lutte contre la pauvreté dans le pays. Cet apport s’opère par les rapatriements de fonds vers leurs pays de provenance pour leurs différents foyers.
D’ailleurs, selon une étude réalisée par la Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, les transferts de fonds des émigrés marocains vers le Maroc ont permis de réduire le taux de pauvreté[15] (115,3 milliards de dirhams transférés vers le Maroc en 2023 selon l’Office des changes[16]) alors que le transfert par les migrants au Maroc en général reste difficile à effectuer. Cet état de fait développe une tendance d’activité souterraine d’envoie d’argent entre les communautés migrantes.
[1] Politique migratoire au Maroc Entre pressions européennes et chantage marocain consulter https://tanmia.ma/wp-content/uploads/2023/03/politique_migratoire_-_fr_1_0.pdf
[2] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté le 16 décembre 1966
[3] Voir site officiel de l’OIM : https://www.iom.int/fr/definition-dun-migrant-selon-loim#
[4] HCP, Enquête sur la migration forcée 2021
[5] HCP, Enquête sur la migration forcée 2021
[6]Le Maroc comme carrefour migratoire et pays d’accueil : quels défis pour le futur ?
Ellinor Zeino-Mahmalat https://books.openedition.org/cjb/913?lang=fr
[7] COMMUNIQUÉ: LE ROYAUME DU MAROC PLÉBISCITÉ PAR LE COMITÉ DE PROTECTION DES DROITS DE TOUS LES TRAVAILLEURS MIGRANTS (CMW) DE L’ONU https://diplomatie.ma/fr/communiqué-le-royaume-du-maroc-plébiscité-par-le-comité-de-protection-des-droits-de-tous-les-travailleurs-migrants-cmw-de-l’onu
[8] HCP. Base de données en ligne du RGPH 2014 sur www.hcp.ma
[9] Code du Travail Marocain « tout employeur désireux de recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l’autorité gouvernementale chargée du travail »
[10] Cass. soc., 23 sept. 2009 , dossier n° 1256/5/1/2008 : Bull. de la C. sup. n°7, éd. 2011, p. 28 et s.
[11] HCP, Enquête sur la migration forcée 2021
[12] The Long Shadow of Informality: Challenges and Policies
[13] Hamza SAOUDI & Ahmed OUHNINI L’informel au Maroc, Repenser la structure globale des incitations pour une économie plus inclusive et dynamique
[14] Près d’un immigré sur six (17%) est au courant de l’existence de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA) « Note sur les résultats de l’enquête nationale sur la migration forcée de 2021 »
[15] Amal Miftah, « Les migrations internationales et leurs effets », Hommes & migrations [En ligne], 1320|2018, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 23 septembre 202. URL : http://journals.openedition.org/
hommesmigrations/4067 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.4067
[16] Le360 « Au Maroc comme ailleurs en Afrique, les transferts de la diaspora prospèrent », consulté le 18-09-2024